15 avril 2015

JETÉ À LA MER

JETÉ À LA MER

   Henri Coursol,  92 années de jeunesse et de libération 

                        ET  «SAUVÉ DES EAUX»

par: Eloy Roy

Henri raconte qu’à son arrivée à Choluteca en 1954, il est  tellement immergé dans l’eau bénite et les baptêmes qu’il a  l’impression d’avoir été jeté à la mer. Les files d’attente pour faire baptiser les enfants n’ont pas de fin. Cet énorme appétit pour les baptêmes vient du fait qu’il y a depuis longtemps disette de prêtres dans cette région « très catholique » du sud du Honduras.

C’est donc la mission à l’envers : par respect pour la culture locale il faut se résigner à commencer par les sacrements et finir par l’Évangile, alors qu’on devrait faire le contraire. Enfin, à la grâce de Dieu!

Le sud du Honduras n’attire pas les étrangers; cette région n’est pas seulement, mais elle est aussi ravagée par la malaria. Dans une lettre adressée à Edgar Larochelle, alors Supérieur général de la SMÉ,  Henri décrit la  situation en ces termes: « Ici, nous sommes dans un trou abandonné de Dieu et des hommes. On travaille sans arrêt, on sue à grosses gouttes, les moustiques ont un appétit féroce, la malaria et les amibes peuvent nous tomber dessus à tout moment. Pour comble, beaucoup de gens du pays ne veulent rien savoir des curés! » Le Supérieur lui répond : « Si on vous a envoyés là,  c’est justement  à cause de la situation que tu nous dépeins, car c’est dans un endroit comme celui-là qu’on a le plus besoin de nous. Courage! Nous allons vous envoyer des renforts. » De fait, la SMÉ a envoyé beaucoup de monde au Honduras. On n’a jamais été seuls. 

Avant l’arrivée des missionnaires du Québec, il est rare qu’un prêtre du pays se risque à faire la tournée de la région. L’aventure n’est pas de tout repos. En plus des éprouvants trimbalages à dos de mule à travers les montagnes, sous une chaleur accablante à longueur d’année, le  prêtre est à la merci des chefs de territoires qui partout font la pluie et le beau temps. Les baptêmes, les messes en latin et les «responsos» pour les morts sont illimités et sont une fastidieuse corvée pour le pauvre prêtre itinérant qui gagne ainsi sa vie, tristement et péniblement.

Seuls, surchargés de travail et  traités bien souvent comme des mercenaires, ces prêtres ont craqué l’un après l’autre  sans laisser de traces de vertu. Si bien que lorsque les gens voient  arriver les Canadiens  dans leurs soutanes blanches, ils les prennent pour d’autres exploiteurs venus, cette fois, de l’étranger... Dans les centres les plus importants, on les regarde avec méfiance, parfois même avec mépris, seulement parce qu’ils sont prêtres. Mais, chez les paysans, il en va tout autrement : très tôt, avec ces braves gens de la montagne, les nouveaux missionnaires se font amis pour la vie.

La mission prend racine surtout chez ces petits agriculteurs de la campagne, les plus pauvres, bien souvent, et les plus éloignés, car ils sont les plus ouverts. Et peu à peu elle se transforme en un gigantesque mouvement pour le relèvement de ces zones défavorisées. « Mon évangile se résume en deux phrases, déclare Henri : à qui est  dans le besoin, donne-lui un coup de main; à qui est écrasé, relève-le! ». Très vite cet évangile se transpose en engagement social et se transforme en un véritable combat pour un développement humain embrassant la santé, l’éducation, la culture,  la spiritualité, l’économie, la politique, en un mot : tout l’humain. 

Tous les confrères se jouent pour cela; ils sont même  combattus à cause de cela. Lui-même, selon une source épiscopale à toute épreuve,  a eu le privilège d’avoir été charitablement étiqueté comme  rien de moins qu’un « communiste » par une haute instance de la sainte Église logeant à des milliers de kilomètres de la réalité du Honduras … Son péché? Avoir soutenu avec force et amour, et par toute sa vie,    que la Justice et la Libération sont Parole de Dieu aussi. Mais quelle joie, cependant! Il n’est pas seul sur cette liste noire, car un certain Jésus de Nazareth y figure sûrement à côté d’un tas d’autres personnes qui prennent l’Évangile à cœur.

Cette vision de la mission en termes de développement humain intégral et libérateur, Henri la partage à cent pour cent avec Marcel Gérin, le confrère évêque de Choluteca; elle a forgé entre les deux de forts liens d’amitié fraternelle.

En plaçant les choses en perspective, et même en les jaugeant avec un œil critique, Henri ne craint pas d’affirmer que, grâce aux multiples organisations sociales et à l’extraordinaire vitalité qu’elles ont instillé dans les innombrables petites communautés chrétiennes de la région,  une très grande partie  du sud du Honduras est maintenant debout.  Il est conscient que la tâche est loin d’être finie et qu’à certains  niveaux, elle est peut-être à refaire, mais il croit sincèrement qu’en ce temps qui fut le sien, lui et ses compagnons de la SME ont abattu un boulot remarquable.  

« Grâce à Dieu et à la Vierge » comme on dit au Honduras,  grâce surtout au peuple lui-même qui est le premier artisan de cette réussite, Henri n’est pas peu fier de la mission accomplie. «Jeté à la mer» dès son arrivée au pays «catracho», il a été «sauvé des eaux» à plus d'un reprise, et il en a sauvé plusieurs avec lui! 

Pour compléter: 

Homélie aux funérailles d'Henri, par Alphonse Proulx
 Laval, samedi 4 novembre 2017

2 Tim 4, 1-2.5-7a
Jn 11, 32b-36.38a.39-40

Bien chers frères et sœurs,

Mes premiers mots seront des souhaits de condoléances et des paroles de solidarité dans la prière pour les membres de la famille et amis très proches de notre confrère Henri Coursol, qui est celui qui nous rassemble aujourd’hui dans la foi et l’espérance.

1.-La Parole de Dieu, tirée de l’Apôtre Paul et de l’évangéliste Jean, que nous venons d’entendre, nous aidera grandement à illuminer la personne, la vie et les œuvres de ce missionnaire exceptionnel. Dans la fleur de l’âge, il décida avec grande détermination de donner sa vie au Christ évangélisateur dans la Société des Missions-Étrangères du Québec, et de le suivre comme missionnaire sur les chemins de l’évangélisation, d’abord à Cuba, puis au Honduras, enfin au Québec même, après son retour définitif au pays en 1987.

**Les Supérieurs de 1949-50 découvrirent le grand potentiel de ce jeune adulte tout d’une pièce. C’est pourquoi dès le début, après ses études de théologie, ils l’envoyèrent suivre, pendant deux ans, une formation en pédagogie à l’Université de Montréal, ce qui le marquera et lui servira toute sa vie, en commençant par être professeur au Collège du Diocèse de Moncton (de 1952 à 1954), avec qui la SMÉ avait un engagement spécifique.

2.-Puis, il fut nommé à notre mission de Cuba, où il travaillera un an. Ensuite, il devint pionnier et co-fondateur de notre nouvelle mission du Honduras, ouverte officiellement le 27 juin 1955. Il détecta rapidement les besoins urgents de la population en éducation formelle. C’est pourquoi il fondera un Collège dans la paroisse San Marcos où il venait d’être nommé. Puis, transféré à Choluteca, il y fondera également un collège, « La Salle », pour les garçons. Au Petit Séminaire de la Capitale Tegucigalpa, où il fut Supérieur, il verra à faire reconnaître, par des Diplômes officiels des Autorités civiles, les études secondaires des candidats au sacerdoce dont il avait la charge.

**Partout et toujours, il s’efforcera de s’intégrer réellement dans son pays d’adoption, d’être proche des gens, et de désirer et agir de façon à ce que l’Église, qui était en pleine formation, soit une Église vraiment hondurienne.

**Il a vécu, avant la lettre, l’option préférentielle pour les pauvres. Et il s’est consacré à une éducation populaire, une éducation à une foi incarnée et concrète, surtout auprès des leaders de petites communautés, Zélateurs de l’Apostolat de la prière, Moniteurs des Écoles radiophoniques, qui sont devenus de vaillants Délégués de la Parole de Dieu et Animateurs ecclésiaux de leurs communautés.

3.-De tempérament fougueux, lutteur et combatif, dans le style de saint Paul, on lui confia plus tard des missions risquées et très dangereuses. Par exemple, en 1975, comme Directeur National de Caritas, les Évêques du Honduras lui demandèrent d’aller investiguer, dans un diocèse voisin, un assassinat et massacre de deux prêtres missionnaires et de 12 paysans, crime commis avec la complicité de Militaires qui étaient au pouvoir à l’époque. Les grands propriétaires terriens étaient en colère parce que les petits travailleurs paysans, conscientisés par l’Église, réclamaient la mise en œuvre d’une véritable Réforme agraire, qui leur donnerait leur juste part pour pouvoir vivre décemment. Ces « latifundistes » s’étaient donc jurés de faire disparaître de ce Département (et Diocèse) l’ensemble des prêtres et religieuses catholiques, par tous les moyens, quels qu’ils soient. Il régnait donc une atmosphère lourde de crainte et de peur chez les gens d’Église de tout le pays. Le père Coursol savait donc très bien qu’il risquait sa vie en allant sur les lieux, avec mandat d’investiguer et de démasquer l’identité des assassins pour les faire comparaître devant les Tribunaux. Mais rien ne l’arrêtait, puisque sa démarche était un combat pour que justice soit faite, et justice pour des démunis, pauvres et exclus.

4.-Homme de défi et de grand courage, il s’offrira de 1979 à 1987 (avec un confrère qui l’appuyait totalement : Jean Ménard, pmé), pour aller aider, pendant huit ans, l’Église du pays voisin, le Nicaragua, dans un moment où les forces de l’Armée sandiniste venaient de « détrôner » la dynastie des dictateurs Somoza. Mais le calme et la tranquillité n’étaient pas encore vraiment assurés dans le pays, et beaucoup de sang était encore versé dans les conflits entre factions opposées. C’est dans ces années que sa jeep bleue Mitsubishi, et surtout sa propre personne demeurait constamment à l’affût, nuit et jour, pour aller secourir des blessés graves et ensanglantés, et les amener à l’Hôpital le plus proche. **Comme Jésus pleura la mort de Lazare avec Marie sa sœur et la foule éplorée, combien de fois le Père Coursol aura-t-il eu à pleurer, lui aussi, et à consoler des mères de famille qui venaient de perdre leur fils ou leur mari, dans ces conflits sanglants qui marquèrent cette période au Nicaragua ?

5.-Vraiment, notre confrère Henri Coursol s’est efforcé de mettre en pratique les exhortations de saint Paul à son cher disciple Timothée : « Prêche la Parole de Dieu et annonce-la avec insistance, --que l’occasion soit favorable ou non--; persuade et encourage avec une patience parfaite ». **Puis, cette autre parole de saint Paul : « J’ai combattu le bon combat, je suis allé jusqu’au bout de la course. L’heure est maintenant arrivée où je vais être offert en sacrifice. »

6.-Après son retour définitif au pays, le père Coursol continuera de cumuler des postes importants, en particulier Supérieur de cette Maison Centrale, puis du Camp Desjardins pendant plusieurs années, où il continuera son œuvre d’évangélisateur et s’y fera de nombreux amis, qui ont leurs représentants ici même aujourd’hui dans cette Célébration [et que nous saluons avec joie].

7.-EN TERMINANT, méditons et contemplons avec les yeux de la foi son destin et sa récompense finale, selon ces paroles de Jésus à Marthe, sœur de Lazare, que Jésus s’apprêtait à ressusciter : « Ne t’ai-je pas dit que si tu crois, tu verras la gloire de Dieu?

**Assurément, le Seigneur ne nous a pas tous appelés à réaliser les mêmes gestes héroïques que le Père Henri Coursol, mais Il nous appelle chacun, chacune de nous, selon notre état de vie et les dons et talents qu’il nous a donnés, à vivre dans la foi et le service du prochain en besoin. Et, à nous aussi, Jésus nous dit : « SI TU CROIS, TU VERRAS LA GLOIRE DE DIEU ». Amen.





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