11 mars 2013


                                LE BALCON DE SAINT-PIERRE 
                                                                               CLIQUER SUR CE TITRE


4 mars 2013

PAIN DU CIEL ET CHEVAL COMMUNAUTAIRE



                                       En hommage aux animateurs et animatrices de 
                                       petites    communautés qui se  sont  arraché le cœur
                                       pour  faire émerger une église à visage humain et à 
                                       saveur d’évangile, et dont les valeureux efforts ont été
                                       souvent anéantis par le manque de courage de 
                                       certains de leurs pasteurs.  




Les petits fermiers de la Landa rêvent depuis longtemps de former une vraie communauté chrétienne qui soit la fierté du Bon Dieu. Modesto et Nilda, son épouse, sont l'âme de ce rêve.

Aujourd'hui, dimanche, ils sont réunis à la chapelle pour partager la Parole en cassant la croûte autour d’une table sur laquelle chaque famille a déposé un pain maison, des empanadas, des humitas, des poignées de feuilles de coca, du vin Toro et des boissons gazeuses.  Entre  deux chants, Modesto commente un passage de l'évangile où Jésus en personne  apparaît comme « le pain vivant descendu du ciel » (Jean 6, 51-60).

« Ceci n'est pas du chinois », déclare Modesto. Il leur explique que  Jésus était si populaire que les gens quittaient tout pour aller l’entendre parler. Ils ne se fatiguaient pas de  l'écouter. Sa parole leur remplissait le cœur.  À un point tel qu’ils en oubliaient de manger. Ils disaient que pour eux Jésus et sa parole, c’était un « pain du ciel ».

Modesto rappelle que les premières communautés chrétiennes commencèrent à éclore tout de suite après la mort et la résurrection de Jésus, et que le signe qui les distinguait n’était pas la croix, mais une table fraternelle avec du pain en abondance  pour tous ceux et celles qui se joignaient à eux. Ces premiers chrétiens priaient et travaillaient ensemble, partageaient tout entre eux et  prenaient soin les uns des autres. Parmi eux, il n’y avait pas de riches ni de pauvres; personne ne souffrait de la faim.  Du moins, c’est ce que raconte le livre des Actes des Apôtres (2,42-45; 4,32-35).

Dans la petite communauté de la Landa, on n’en est pas encore là. Chez les plus pauvres, des hommes labourent encore leur champ avec une charrue de bois tirée par… la femme!...  Mais parfois les hommes meurent, ou s’en vont courir ailleurs, abandonnant femmes et enfants à la misère.   À la Landa, une dizaine de familles vivent ce drame.

Ce jour-là, à la chapelle, l’intervention de  Modesto sur le pain de vie fait réfléchir. La communauté ne peut s’empêcher de penser à ces familles qui n’ont pas d’homme pour faire les labours. Comment soulager une telle misère? Chacun y va de son opinion. Certains ont même les larmes aux yeux.

 « J'ai une idée ! » s’exclame soudain l’un d’eux. « Chaque dimanche, nous déposerons quelques pesos dans une caisse spéciale. Quand nous aurons assez d'argent, nous achèterons un cheval. Ce sera le cheval de la communauté.  Nous le garderons dans la cabane près de la chapelle. Tour à tour, chaque famille se chargera de le nourrir. Venu le temps des labours, nous mettrons le cheval à la disposition des familles qui en auront le plus besoin.»

La proposition est accueillie spontanément comme une inspiration du Saint-Esprit. L’accord unanime s’exprime par un tonnerre d’applaudissements et tout le monde se retire en chantant Alléluia.

Les jours et les semaines passent, et la caisse reste vide. Les gens se font prier, remettent à plus tard, inventent mille prétextes pour ne pas collaborer.

Modesto revient à la charge : « L’idée du cheval, ça vient du bon Dieu. Le temps presse. Il faut remplir cette caisse au plus tôt. Comme vous savez, moi, je n’ai pas d’argent; mais lorsque nous aurons notre cheval, je m’engage à faire gratuitement les labours des familles les plus pauvres. Car, à bien y penser,  même avec un cheval, ce ne serait vraiment pas chrétien que de laisser les femmes se débrouiller seules. Ce sera donc ma contribution. »

Tous embrassent  Modesto avec émotion et rentrent à la maison. Mais dans la caisse,  pas un traître sou.

Modesto n’a que neuf enfants. Il est paysan et,  à force de débrouillardise, il a appris la maçonnerie. Nilda, son épouse, prend soin d’un petit troupeau de chèvres et cultive un potager dans les cailloux. C’est lui, Modesto, qui a bâti la chapelle de la communauté, sans beaucoup d’aide à vrai dire.

Aujourd’hui, en regardant la caisse toujours vide, Modesto sent qu’une fois de plus il lui faudra faire le premier pas. Le cœur un peu lourd, il se rend chez un vieil oncle d’un autre village et lui emprunte de l’argent. Puis il achète le cheval, le nourrit à ses frais et fait les labourages promis. Personne de la communauté n’apporte un sou, ni un brin de foin, ni même un simple coup de main.

Après deux ans de ce régime, Modesto et Nilda n’en peuvent plus. Avec mille regrets, ils prennent la décision de mettre fin à l’opération. Le cheval, très amaigri, est revendu à perte. Le brave oncle prêteur n’est remboursé qu’à demi.

Mais le bruit court à l’effet qu’en vendant l’animal Modesto se serait graissé la patte. La communauté fronce les sourcils et les cœurs s’assombrissent. Bien que Modesto démontre dans un tournemain l’absurdité de cette rumeur, tous ne se laissent pas convaincre. Trois ou quatre individus quittent la place avant que la réunion ne prenne fin. L’auréole de Modesto n’est plus ce qu’elle était.  

En ce même moment, une crise éclate à la tête de cette paroisse dont la Landa fait partie.  L’Évêque vient de limoger  son curé (un certain Jérémie qu’on connaît déjà) et son équipe.  

Au départ, l’évêque avait béni ce projet de petites communautés  autour de la Parole de Dieu. Et il était d’accord pour que des animateurs  laïques du genre de  Modesto et Nilda soient formés à cette fin. Mais, maintenant, il en a  plein sa mitre.

Ces petites communautés,  à son avis, ont dépassé les limites. Leur option pour les pauvres et leur engagement social provoquent des remous dans certains secteurs de l’église et de la société, ce qui  cause de plus en plus de soucis au pasteur du diocèse.

Comme évêque, bien évidemment, il n’a rien contre les pauvres, mais, à son dire, l’église doit s’occuper aussi des riches.  Il n’aime pas cette option « préférentielle » pour les pauvres qui lui paraît discriminatoire. Les riches aussi sont les enfants de Dieu. Dans l’Évangile, la pauvreté n’est pas d’abord un mal qu’il faut combattre mais une vertu fondamentale pour accéder à la sainteté. « Heureux les pauvres en esprit! » proclame Jésus.

Certes, précise l’évêque, il y a une pauvreté qui n’est pas vertu,  et qui doit être combattue. N’empêche que les riches ont aussi leur pauvreté; bien que de nature différente, elle est souvent plus pernicieuse et moins supportable que celle des pauvres.

Tous les riches ne sont pas des saints, il en convient, mais tous les pauvres n’en sont pas non plus. Cependant, il y a des riches qui se montrent très généreux à l’égard du Grand Séminaire et contribuent à plusieurs œuvres importantes du diocèse.

Il y a aussi les militaires. Ils ne sont pas tous des démons  comme se plaisent à les décrire certains esprits tordus. Qui donc a ramené l’enseignement religieux dans les écoles sinon les militaires?...

En tordant les textes du concile Vatican II, regrette  l’évêque, certains esprits en sont venus à confondre pastorale et politique. Les Droits humains et la justice sociale, précise l’évêque,  les problèmes ouvriers, la cause des disparus de la dictature, les revendications des communautés aborigènes pour la protection de leur culture et la récupération de leurs terres ancestrales sont des questions qui ne laissent pas l’église indifférente, mais ne sont, en aucun cas, de son ressort; ces questions relèvent toutes de la politique et de l’État. « À César donc ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu! »  

Enfin, dans l’esprit du bon évêque et de ses conseillers, ces petites communautés qui mêlent la religion aux questions de  justice et de liberté et qui s’entichent un peu trop allégrement des traditions païennes des  indigènes, dénaturent le message de l’évangile; elles  font le jeu des gauchistes, fomentent la lutte des classes et mettent en péril la paix sociale. Il faut prendre des mesures.

Et des mesures sont prises. Jérémie est chassé de la paroisse  et même du diocèse, et son équipe est envoyée aux limbes. Tout ce beau monde est  remplacé par quelques pieux laïques et un vieux prêtre de très mauvais caractère  mais de doctrine sûre. Ce dernier, né Teuton, est connu, entre autres,  pour farcir ses homélies d’exploits rocambolesques qu’il aurait lui-même accomplis au cours de sa longue carrière, dont  celui peu banal d’avoir servi comme  officier dans l’armée de son pays, à l’époque d’un certain Hitler.


La mise au ban de Jérémie et son équipe déclenche un séisme  qui se répercute  jusque dans les plus petites communautés. À la Landa,  Modesto est sur-le-champ écarté de son service d’animateur. Une bonne demoiselle d’âge canonique, dont la fiche religieuse ne connaît pas de tache, est nommée d’office pour faire le lien entre la chapelle et le curé.  

Sous une pluie de farine et de confetti et  au rythme des sikuris,  l’élue est consacrée par la communauté dans sa nouvelle fonction. L'ancienne commission « pro templo », responsable des clefs, des bancs, de la cloche, des fêtes et des sous, voit son exil prendre fin et reprend du service comme dans le bon vieux temps. Le curé teuton, plus dévot du  catéchisme d’autrefois que de chevaux communautaires, est aux oiseaux.

Désormais, à la Landa, les choses reviennent comme elles étaient avant Jérémie et Modesto. Les gens n’ont plus besoin de participer à quoi que ce soit, sauf à rendre le curé heureux. On ne partage plus le pain maison ni le vin Toro, ni les limonades, ni les feuilles de coca, et on ne se dérange plus pour célébrer la Parole en l’absence du  prêtre. Quand monsieur le curé est là, on assiste à la messe et c’est tout.

À la messe, on rabâche la Parole de Dieu en pensant aux mouches. On ne chante presque plus, surtout pas les chants de Jérémie,  et plus personne ne rêve de changer le  monde. Mais on ramasse des sous. Non, toutefois, pour acheter des chevaux, mais pour commander des messes. Des messes pour les morts, bien évidemment, car la santé des morts dans l’au-delà a quand même plus d’importance que celle de certaines femmes qui ont couru après leur malheur en mettant des  enfants au monde en-dehors des liens sacrés du mariage. Par conséquent, la caisse de la chapelle ne chôme pas.

Au fur et à mesure qu'augmentent les sous, se multiplient les visites du prêtre et les messes pour les défunts. On récolte même des petits surplus qui sont utilisés religieusement pour refaire la peinture de la chapelle et aussi celle de la statue de la Vierge, et coopérer à la caisse des vocations pour le séminaire diocésain. Le vieux prêtre n’a que des louanges à l’endroit de ses chères petites brebis de la Landa. La bonne religion de toujours est enfin revenue à la maison.

Les gens de la Landa ne sont certainement pas de mauvaises personnes, loin de là! Tous aiment Jésus et croient aveuglement que l’hostie consacrée par le prêtre est vraiment le Corps du Christ. Ce qui est dur pour eux, ce n’est pas le dogme de la transsubstantiation dont ils ignorent  l’existence, mais de faire en sorte que la Parole de Jésus se transforme en gestes de partage, de participation et de solidarité pour que personne autour d’eux ne souffre de la misère ou de la faim.

« Ça, c’est vraiment trop dur…», pensent-ils. Et peu à peu ces bonnes gens  délaissent le chemin de Jésus pour retourner à la religion du bon vieux temps dans laquelle temple et culte offrent plus d’attraits que les pauvres et la justice.

Tous, heureusement, ne pensent pas ainsi. Malgré les humiliations, Modesto et Nilda continuent  de servir  dans l’ombre avec l’espoir qu’un jour la communauté ressuscite.

« Ma chair est vraiment nourriture »… Ce n’est pas tout le monde qui comprend ça. C’est pourquoi, dans le monde, les « chevaux communautaires» ne pleuvent pas et beaucoup de gens crèvent  de faim.


                                                        Eloy Roy












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