9 janvier 2013

AU MILIEU DES ZOPILOTES1





Cherchant à identifier le type qui, dans la parabole du banquet de noces, ne porte pas l’habit de fête.  Une lecture hondurienne. (Matthieu 22, 1-14)

Le bus est plein comme un œuf. On ne pourrait pas y glisser une épingle.  Mais, quelle importance? Au premier coin de rue, il s’arrête et fait monter trois personnes de plus, et quatre un peu plus loin. Et puis deux autres encore, et ainsi de suite. Quand on n'a plus de place en ce pays, on en a encore! Sur le toit du bus : une montagne de bagages, et même des animaux…

Le bus file à toute allure. Les côtes les plus raides, les courbes les plus serrées, les vaches accroupies au milieu de la route, les ravins, rien ne lui fait peur. Les voyageurs sont entassés  comme des sardines, transpirent, somnolent, tiennent bon. Personne ne proteste.

Sauf un, qui, seul dans son coin, fait des pieds et des mains pour que personne ne le touche. Il fume cigarette après cigarette et ne réussit à lire quelques lignes de son journal qu’à force de contorsions. Il  râle sans arrêt, peste contre le chauffeur, contre le pays, contre le gouvernement, contre le monde entier, jusqu’à ce que le bus s’arrête net sec dans un crissement de freins à faire grincer les dents.

Le chauffeur et deux costauds se lèvent brusquement, attrapent le gueulard par le cou et les pattes, et le balancent  dehors.  Le type se ramasse dans le fossé, en plein milieu d’une troupe de zopilotes. « Bye bye! »  lui crient les passagers, pendant que le bus reprend  son voyage.

Les zopilotes jettent un regard indifférent à cet intrus qui vient d'atterrir chez eux. Ils le flairent sans s’approcher de lui et s’éloignent aussitôt sans même le toucher. «Trop amer !  » disent-ils, en se pinçant le bec.

Le Royaume, c’est-à-dire cet extraordinaire  projet de Jésus pour un monde ouvert et humain, n'est pas fait pour les raseurs. Dans ce monde nouveau il y a de la place pour tous les humains, bons et mauvais,  mais pas pour les grognons, les casse-pieds, les enquiquineurs, qui sont toujours contre tout et ne sont d’accord avec rien, et qui finissent par se noyer dans l’enfer de leur propre amertume.

Le Royaume est fait pour les gens audacieux, critiques, certes, mais solidaires, qui font confiance à la vie, ont de la sympathie pour le peuple ordinaire et se voient comme les joyeux complices du Dieu de  Jésus: un Dieu heureux qui, chaque jour et jusqu’à la fin du monde, convie tous les peuples de la terre au grand banquet des noces de son fils.

                                                                 Eloy Roy

1 « Zopilote » : oiseau charognard du Honduras

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