14 mai 2012

BABEL




Genèse 11

Il fut un temps où, dans l’Église, tout le monde se servait d’une même langue et des mêmes mots. « Puisque Dieu est Un », disait-on, « l’Église aura une seule autorité au-dessus de toute autorité. Et puisque Dieu est Vérité, la seule vérité sera celle que sanctionnera cette autorité. »

Alors, beaucoup d’humains se rassemblèrent dans l’Église en disant : « Ainsi soit-il ! Nous serons un ! Et tout le monde sera un avec nous. Nous construirons une tour dont les fondations couvriront la face de la terre et dont la tête pénétrera dans le ciel.»

«Chaque humain sera taillé comme une pierre égale aux autres pierres. Toutes les pierres s’ajusteront les unes aux autres et elles seront fixées pour toujours par le mortier de la pensée unique décrétée par l’autorité unique. Ainsi, il n’y aura plus de divisions sur la terre et nous deviendrons invincibles. Nous serons comme Dieu. »

Or Dieu descendit pour voir la tour que ces humains étaient en train de bâtir. Il vit comment, au nom de l’unité, on équarrissait des peuples, des têtes, des cœurs. On aplatissait des esprits, on écrasait des vies… Et il se dit : ce n’est pas là l’unité que je voulais.

J’avais dit qu’ils seraient des pierres vivantes  et non des vivants changés en pierre… Ils m’ont tout saboté. Si je laisse faire, plus rien ne pourra les arrêter.

Alors, Dieu fit se lever un vent de discorde dans l’Église et sépara ceux qui parlaient grec de ceux qui parlaient latin. Ainsi apparurent deux Églises : l’Église orthodoxe et l’Église catholique.

Cette chirurgie freina un peu la construction de la tour, mais du côté catholique, on s’en remit assez vite et les travaux reprirent de plus belle. Alors, Dieu s’inquiéta de nouveau, descendit une seconde fois et sépara ceux qui parlaient allemand et anglais de ceux qui parlaient les langues latines, donnant ainsi naissance à l’Église réformée ou protestante.

Au lieu d’une seule Église, on s’est donc retrouvé avec trois Églises, toutes plus ou moins compactes, toutes plus ou moins ébranlées, toutes plus ou moins dispersées. Et il arriva ce qui devait arriver : le projet de la grande tour tomba à l’eau.

Dieu s’en frotta les mains et déclara : « Je continue à vouloir qu’ils soient un, mais je tiens aussi à ce que l’on sache que j’aime beaucoup la variété. »

«Puisqu’on a dit de moi que je suis un seul Dieu en Trois Personnes, j’aimerais, bien sûr, que ma grande Église soit une aussi, mais à condition qu’aucune des trois Églises ne perde sa personnalité.»

«Elles seront donc une, et en même temps différentes, comme le Père, le Fils et le Saint Esprit.»

«Et ainsi en sera-t-il de la vérité. Amen. »

                                                                         Eloy Roy


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