24 janvier 2012

ON S'ALLUME?


Le 4 janvier 2011, un jeune Tunisien, Mohamed Bouazizi, s’immole par le feu. Ce geste réveille la flamme de la libération dans les sociétés arabes et déclenche un véritable incendie. Une foule de jeunes d'Europe et d'Amérique, qui en ont marre de voir nos démocraties sous les pattes des grandes sociétés financières, se réveillent à leur tour...


Dans les églises, on ne manque pas de lampions, de cierges ou de lampes. Tous les dimanches on baigne dans la lumière. Mais pas un pauvre petit Jour du Seigneur n’est consacré à la justice ou à la libération. Comme si lumière, justice et libération étaient des ennemies.

Sur tous les tons on chante que Jésus est la Lumière et que nous aussi nous sommes lumière. Parfait. Cela sort tout droit de l'évangile (Jean 8, 12 ; 12, 46; Matthieu 5, 14-16).

Mais « être lumière», on s’en doute bien, ce n’est pas une affaire de lampe du sanctuaire ou de flambeau de procession… C’est plus qu’une décoration pour des cérémonies de luxe.

Selon saint Jean, quiconque aime son prochain est lumière (1Jean 2,10). Ce qui illumine le monde, c’est l’amour fraternel.

Mais…l’insatiable machine économique qui ne cesse de dévorer l'âme de l'humanité et de mettre en péril la vie de la planète, est-ce la pauvre petite flamme de notre amour fraternel qui va l’arrêter ?

Avouons-le, notre amour fraternel n’éclaire pas beaucoup. Il ne brille pas par sa «lucidité », son réalisme, sa robustesse, sa force, son audace.

Peut-être aurait-elle besoin d'un feu plus fort?

Quel meilleur feu qu’une brûlante passion pour la justice et la libération?

« Ta LUMIÈRE brillera comme l'aurore » si tu romps les chaînes de l'injustice, si tu libères les opprimés, si tu brises tous les jougs, si tu partages ton pain, ton toit et ton vêtement avec qui en sont privés et si ne tournes pas le dos à ton semblable.

« Ta LUMIÈRE se lèvera dans les ténèbres et ton obscurité deviendra clarté de plein midi » si tu n'as pas de gens exploités dans ta maison, si tu donnes à manger à l’affamé et rassasies l’opprimé (Isaïe 58, 6-10).

Pour Isaïe, le grand prophète de la Lumière, l'amour fraternel implique qu’on brise les chaînes de toutes formes d’esclavage. Fraternité, justice et libération sont inséparables; ensemble elles sont la lumière du monde.

Pour une théologie qui rêverait surtout de choses mystiques, cela peut sentir le soufre plus que l’encens... Tant pis! La meilleure théologie est celle qui rend les pauvres heureux. Ce fut la théologie de Jésus (Luc 6, 21).

Les pauvres, « ceux qui ne sont rien1 », comprennent très bien ces choses-là, alors que Dieu bien souvent les cache aux savants (Luc 10, 21).

Jésus le savait, lui qui était pauvre.

D’ailleurs, dans l'évangile, la lumière vient toujours du monde des pauvres: elle naît dans une étable, s’éteint sur une croix et se remet à briller de tous ses feux en jaillissant d’un tombeau vide.

« Je suis venu apporter le feu sur la terre…» (Luc 12, 49).


Eloy Roy


1 « CEUX QUI NE SONT RIEN »

Ils ne sont rien parce qu’ils sont les fils et les filles de personne

et aussi parce qu’ils ne sont propriétaires de rien.
Ils sont les misérables qui tirent toujours le diable par la queue :

ils sont les moins que rien, les morts vivants, les paumés, les archi-paumés.
Ils sont ceux qui ne sont pas, même s'ils sont.
Ils ne parlent pas une langue mais un dialecte.
Ils ne professent pas de religion mais des superstitions.
Ils ne font pas de l'art mais de l’artisanat.
Ils n’ont pas de culture, mais sont dans le folklore.
Ce ne sont pas d’abord des êtres humains, mais une main-d’œuvre à disposer.
Ils n'ont pas de visage mais des bras.
Ils n'ont pas de nom mais sont des numéros.
Ils ne figurent pas dans l'histoire universelle mais dans la chronique rouge de la
presse à scandales.
Ils ont moins de valeur économique que la balle qui les tue.

EDUARDO GALEANO

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